La déspécialisation du bail commercial

Le locataire d’un bail commercial peut vouloir faire évoluer son activité en cours d’exécution du bail commercial. Cette évolution peut être partielle ou totale. Selon les cas, il devra respecter un formalisme particulier.
Estelle BOCCARA - Responsable du contenu juridique
Estelle BOCCARA
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Publié le :
4 novembre 2020
Temps de lecture :
5 min

La despécialisation dans le bail commercial

Un bail commercial classique possède une destination que le locataire ou son repreneur doivent respecter. En d’autres termes la destination d’un bail commercial, encadre et répertorie les activités commerciales qui peuvent être exercées ou non dans le local (vente de vêtement, restauration, Bar Tabac, Salle de sport…). La destination peut être stricte ou assez large pour pouvoir permettre l’exercice d’une ou plusieurs activités.

Il arrive parfois que le locataire ait besoin de modifier la destination du bail pour y développer une activité complémentaire ou différente de celle exercée aujourd’hui. Il existe 2 types de demande à cet effet : la déspécialisation partielle ou totale.

La déspécialisation partielle pour une activité connexe ou complémentaire

La demande de déspécialisation partielle du bail commercial permet au locataire d’ajouter une nouvelle activité complémentaire à son activité de base. Il s’agit d’un changement partiel de l’activité du locataire. 

Par exemple : un cordonnier peut faire une demande s’il souhaite ajouter la reproduction de clés à son point de vente. Nous sommes là sur une activité complémentaire au métier de cordonnier. Une activité de coiffure pour homme est considérée comme activité annexe à celle de coiffure pour dame (Paris, 27 févr. 2013).

Par exemple : les activités d’hôtel meublé et bar sont considérées comme des activités connexes à celles de piano-bar karaoké comme le prévoit un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Civ 3, 17 juillet 1996).

Les modalités de demande sont simples, le locataire formule sa demande par acte extrajudiciaire d’huissier ou par lettre recommandée au bailleur (depuis la loi du 6 août 2015). À la réception de ce courrier, le bailleur à 2 mois pour répondre conformément à l’article L. 145-47 du Code de commerce.

En cas d’accord, le bailleur n’aura pas à répondre à cette demande. Si la demande d’activité est cohérente avec l’activité de base, il y aura peu de chance que le bailleur la refuse sauf :

  • S’il juge que cette demande vaut déspécialisation totale ou plénière (la nouvelle activité n’est pas connexe).

  • Si la demande de déspécialisation partielle entraîne des travaux qui modifieraient l’aménagement de départ. Attention, si le locataire entame ce type de travaux sans accord, le bailleur sera en droit de résilier le bail.   

En cas de désaccord, le bailleur devra notifier son refus par courrier recommandé en signifiant l’incompatibilité avec la destination du bail commercial signé. 

  • Le locataire peut en cas de refus  engager une procédure pour faire valoir son droit à la déspécialisation. Il devra saisir le tribunal judiciaire compétent

Le juge sera souverain dans sa décision et pourra accorder (ou non) la déspécialisation partielle s’il juge celle-ci complémentaire au bail commercial initial. Ces dispositions sont d’ordre public, toute clause contraire dans le bail commercial sera réputée non écrite, autrement dit aucune disposition ne peut aller à l’encontre de cette liberté de déspécialisation partielle si la nouvelle activité est bien reconnue comme connexe.

La déspécialisation totale pour changer complètement son activité

Le locataire possède le droit de demander une déspécialisation totale ou plénière du bail commercial s’il se retrouve dans le besoin d’exercer une nouvelle activité différente de celle inscrite dans le bail. Il s’agit d’un changement total de l’activité du locataire. 

La demande doit s’effectuer par lettre recommandée (depuis la loi du 6 août 2015) ou acte extrajudiciaire d’huissier à son bailleur mais aussi aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce conformément à l'article L. 145-49 du Code de commerce

À la réception de cette demande, le bailleur dispose d’un délai de 3 mois pour indiquer sa réponse. Le silence du bailleur vaut acceptation.  Si le bailleur a plusieurs locataires, il doit dans le mois qui suit la demande de déspécialisation informer ses autres locataires envers lesquels il se serait engagé à ne pas louer de locaux pour la nouvelle activité demandée en déspécialisation.

Exemple : Le bailleur s’engage envers un locataire A qui exploite un salon de coiffure à ne pas louer à un autre locataire un local commercial destiné à un usage de salon de coiffure. Un locataire B (avec le même bailleur) qui exerce une activité de vente souhaite obtenir une déspécialisation en vue d’exploiter un salon de coiffure dans le local. Le bailleur devra informer le locataire A de la demande de déspécialisation du locataire B.

Le locataire doit motiver ses intentions en respectant les conditions cumulatives ci-dessous :

  • La conjoncture économique. 

  • Les nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution (activité cohérente en terme de rentabilité et conformément à la conjoncture environnante).

  • Activité conforme à la destination et au règlement de copropriété. 

En cas de refus de la part du bailleur, celui-ci devra motiver ses intentions, mais rien ne l’oblige à accepter. Il peut s'il le souhaite accepter de déspécialiser le bail commercial et demander une indemnité de déspécialisation. En d’autres termes, il accepte que son locataire exerce une activité différente de celle indiquée dans le bail commercial mais en contrepartie le locataire devra l'indemniser financièrement contre cette avantage supplémentaire et non prévu initialement. 

Toutefois, le propriétaire peut tout simplement accepter la déspécialisation sans demande de contrepartie en échange. 

À noter : Si le bail commercial comporte une clause de destination prévoyant une activité spécifique, le locataire devra effectuer cette demande auprès du bailleur pour solliciter son accord ou à défaut entamer une procédure de déspécialisation en justice. Si le bail commercial comporte au contraire une clause de destination dite ‘’ tous commerces ‘’ le locataire n’aura pas besoin de solliciter l’accord du bailleur pour pouvoir exercer une activité annexe à son activité principale.

La déspécialisation pour cession de droit au bail

Lorsqu’un locataire souhaite arrêter son activité et vendre son droit au bail (à ne pas confondre avec la vente de son fonds de commerce), celui-ci peut, pour maximiser ses chances de trouver un repreneur, en demandant à son propriétaire en amont son accord pour déspécialiser le bail. 

Cet accord permettra au locataire de chercher un repreneur sereinement en lui garantissant de pouvoir exercer son activité dans les lieux. Le propriétaire peut en contrepartie de cet avantage demander une indemnité de déspécialisation ou une augmentation de loyer. Le futur preneur pourra alors accepter ou non et négocier le droit au bail en toute connaissance de cause.

L’essentiel à savoir sur la déspécialisation

Comme vous l’avez compris, la déspécialisation permet de modifier l’activité prévue  dans un  bail commercial en cours de route. Le locataire peut opter pour une déspécialisation partielle, s’il souhaite ajouter une activité complémentaire à son activité principale ; ou bien une déspécialisation totale ou plénière dans le cas où il souhaiterait exercer une tout autre activité ou vendre son droit au bail à un acquéreur exerçant une activité différente. 

Si la première est obligatoire lorsque l’activité connexe est prouvée, la deuxième est purement contractuelle et fera certainement l’objet de négociations.

L’accord du bailleur sera nécessaire si le bail commercial ne comporte pas de clause ‘’ tous commerces ‘’.

La déspécialisation partielle du bail commercial peut entraîner une augmentation du loyer au moment de la prochaine révision triennale. La déspécialisation totale ou plénière est susceptible de modifier le montant du loyer au moment de la transformation de l’activité en complément d’une éventuelle indemnité de déspécialisation (article L. 145-50 du Code de commerce).

À noter : bailleur ou entreprise locataire, vous avez le droit de vous faire accompagner par un avocat dans le cadre de votre contrat de location de locaux commerciaux. Cet accompagnement juridique en droit de l’immobilier commercial vous permettra d’obtenir des conseils personnalisés pour votre entreprise à savoir : renouvellement, résiliation du bail commercial, révision du loyer, demande et autorisation de déspécialisation … En cas de contentieux, il pourra vous assister ou vous représenter devant le tribunal compétent.

Mise à jour le : 4 novembre 2020
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